En vol, aux commandes du Nord 2501 Noratlas
Jacques NOETINGER
Aviation Magazine n°81 septembre 1953
Je garderai de la journée du 18 juillet un souvenir remarquable car, à l'occasion d'un voyage en Hollande pour assister au meeting aérien du NATO j'ai fait la connaissance avec le Noratlas et ceci dans des conditions exceptionnelles. Quand je dis que j'ai fait la connaissance avec le Nord 2501, c'est à la fois sur le plan du passager et celui du pilote que je me place, car, depuis longtemps, comme spectateur ou comme speaker au moins, j'ai eu le plaisir d'assister à de belles démonstrations de cet appareil. J'ai, du reste, encore dans les yeux l'image de la présentation magistrale faite le 4 juillet au Bourget par Marcel Perrin qui a eu le grand honneur de faire au Brésil briller les couleurs françaises sur ce même appareil qui, ce matin, nous emmène vers Soestberg.
L'équipage est composé de : Perrin, chef de bord, Jean Dabos à la fois copilote et passager puisque, hier, un autre Noratlas chargé du Djinn a emporté son hélicoptère en Hollande pour lui permettre d'en faire une démonstration, Jean Bardinet, premier radio-navigateur, Jean Boutes, premier mécanicien, Fernand Bertoncin, deuxième radio-navigateur, Roger Touliouse. électricien, et Maurice Richard, metteur au point. En somme, il y a ici trois vedettes françaises du meeting NATO : Dabos, Perrin et le Noratlas, mais la SNCAN avait eu la gentillesse de faire bénéficier du Nord 2501 quelques passagers de marque accueillis et accompagnés par M. Severac, secrétaire général de la SNCAN. C'étaient MM. Classer, président directeur général de la SNCASO, Guilbot, directeur de l'Union Syndicale des Industries Aéronautiques, Guerreau, commissaire technique de la Fête Aérienne Internationale du Bourget.
Pendant une heure et demie, à l'aller, je suis resté dans le poste de l'équipage et j'ai fait la moitié du vol en copilote. J'ai eu l'occasion de noter beaucoup de choses, de me familiariser avec cette cabine vaste et bien éclairée, d'étudier soigneusement le poste de pilotage rationnellement disposé, d'apprécier le confort réservé à l'équipage et permettant de longues étapes en épargnant la fatigue inutile.
Au retour, j'ai fait la première partie du trajet et, pendant la seconde, j'ai conversé avec M. Severac dans la cabine des passagers, présentée avec goût et sobriété, calculée pour que les sièges puissent se rabattre contre les cloisons afin de rendre au Nord 2501 son caractère foncier d avion cargo. Je ne m'étendrai pas sur les détails d'aménagements pour les passagers, car j'ai trop à dire sur le pilotage. En effet, de retour au Bourget, Marcel Perrin m'a invité à repartir sur Melun-Villaroche en place de premier pilote, et c'est ce vol que je voudrais décrire.
En montant dans l'appareil. Perrin ne me laisse aucune illusion sur le rôle qu'il entend jouer. Vous vous installez en place gauche, vous avez la radio faites ce que vous voulez, partez quand vous voudrez, je vous laisse tout faire.
Hum !... Dois-je lui avouer que jamais encore on ne m'a confié un bimoteur dans ces conditions ?... Tant pis allons-y Je le lui dirai a l'atterrissage. Gaillardement, je boucle ma ceinture, règle mon siège en profondeur et en hauteur, branche la radio fixe le laryngophone... Paré. Je demande à Jean Boutes, mécanicien assis entre les deux sièges pilotes et un peu en arrière, de mettre en route les moteurs ; ils démarrent tour à tour sans histoire. Je lui fais retirer le frein de parking et j'appelle la tour :
« ...Roméo Golf autorisation de quitter le parking, consigne de décollage ?»
La tour du Bourget est d'accord, je pousse un peu les gaz et je commence a rouler. Tout de suite, je remarque combien le Noratlas est facile a mener au sol. Les freins sont souples et, sauf pour les virages à angles aigus, je touche un peu au moteur extérieur le reste du temps, le régime est constant, les virages s'effectuent sans saccade, le train Messier est souple. A 40 km/h., je me promène ainsi sur les taxiways qui m'amènent vers la piste 27.
Avant de pénétrer sur la bande, je stoppe l'appareil, fais mettre le frein de parking et c'est le point fixe à 2.300 t./min. et à 100 à l'admission, sélection des magnétos, vérification des moteurs d'hélices Rotol. Chacun des Bristol Hercules donne son régime. Tout est satisfaisant, un contact électrique pour sortir 10° de volets. La tour m'autorise à pénétrer sur la bande. Freins de parking relâchés, je roule doucement et m'aligne.
Progressivement je pousse les deux manettes des gaz d'un même mouvement de la paume de la main droite et le Noratlas s'élance. Je n'éprouve aucune difficulté a le tenir dans l'axe et je surveille le badin A 75 noeuds je soulage progressivement la roulette avant 80,…,90,…,je tire un peu plus sur le manche qui, du reste, ne demande pas un effort anormal et j'ai quitté le sol.
L'avion reste bien stable bien accroché en l'air. J'appuie sur les pédales de freins. Boutes actionne le levier de train, je sens celui-ci remonter et des petits chocs indiquent qu'il est rentré, les lampes témoin vertes confirment que l'opération s'est bien effectuée, le badin est à 110, je fais rentrer les volets et je prends mon régime de montée : 130 kts. au badin, 2.500 t/min et 170 à l'admission Le variomètre se maintient à une moyenne de 400 m/min ce fait du 6.6 m/s et ce chiffre mérite d'être souligné car, bien que l'avion ne soit pas à pleine charge, il donne une bonne idée des possibilités, de l'appareil. En cas de besoin, avec un régime plus élevé, on peut atteindre très certainement une plus grande vitesse ascensionnelle
En gagnant de l'altitude, j'effectue un virage moyen à 15° d'inclinaison pour contourner Le Bourget et pour éviter Paris. A 2.500 pieds (900 m.), je règle mon flettner tandis que Boutes sur ma demande, affiche le régime de croisière 2.000 t/min 125 à l'admission. Apres une légère descente pour obtenir ma vitesse de croisière le badin se stabilise, en palier, à 170 noeuds (310 km/h). Je maintiens le cap vers Melun pendant quelques minutes, réglant avec soin mes flettners. Ceux-ci sont très efficaces. Celui qui l'est davantage est incontestablement celui de la direction ; un très faible débattement effectué d'un geste rapide (donc non habituel) fait faire à l'avion un dérapage très net. Le flettner de profondeur, est lui aussi très efficace mais il semble plus démultiplié, donc moins brutal. Enfin, le flettner d'aileron est le moins sensible des trois.
« Mon » avion est, cette fois, parfaitement réglé et je puis lâcher pieds et manche; horizon artificiel, conservateur de cap et badin ne bronchent pas. Cela me rappelle le voyage de ce matin avec le pilote automatique Alkan branché ; il y avait un peu plus de turbulence que ce soir et l'on voyait le manche réagir méthodiquement, sans que personne y touchât. Ce pilote automatique prototype a fait ses preuves puisqu'il a fonctionné sans la moindre défaillance depuis son installation sur l'avion, c'est-à-dire avant le voyage d'Amérique du Sud.
Je songe à cela en apercevant devant moi le terrain de Villaroche, qui approche. Soudain, et traîtreusement, Perrin réduit brutalement et à fond le moteur droit ; je réagis au pied et au manche, mais j'ai un bien faible effort à taire pour tenir mon cap et maintenir la bille au milieu. Je n'en suis qu'à demi-surpris, puisque, ce matin, alors que j'occupais la place de copilote, Perrin m'avait demandé de lâcher manche et palonnier comme lui et il avait fait le même exercice en laissant faire l'avion. Tout doucement, l'appareil s'était engagé dans un très léger virage, en descente douce. Trente secondes, au moins, s'étaient écoulées avant qu'on le reprît en main pour le ramener à son cap et en palier, sans utiliser les flettners. C'est une belle démonstration de sécurité, assez exceptionnelle pour un appareil de ce tonnage.
Ayant dégagé la zone d'approche d'Orly, et à proximité de Villaroches je suis prêt à remuer un peu le Noratlas. Je commence par des virages à 360° en inclinant l'avion à 30°. Il me faut surveiller un peu le variomètre pour bien tenir mon altitude qu'un peu de flettner vers l'arrière, surtout en virage à droite, aide à maintenir. Pour la bille, par contre, pas de problème car il n'est presque pas nécessaire d'agir au palonnier.
Fort de cette expérience, j'attaque des lazy-eight. Après tout, pourquoi pas ? Je débute par un virage en descente, au bas duquel le badin dépasse 180 kts. et je continue par un virage monté en sens inverse, pour arriver au sommet de la courbe à moins de 130. La conjugaison est vraiment très facile et cette figure, que je ne cherche pas à pousser de façon excessive, s'effectue en douceur, au point que, tout en l'exécutant, j'ai le loisir de jeter un coup d'oeil à l'équipage qui reste stoïque pendant mes évolutions. Tous me font sans doute confiance, ce qui est aimable de leur part, mais je pense surtout qu'ils connaissent mieux que moi les possibilités du Noratlas. Après ce carrousel, je reprends la ligne de vol et laisse l'appareil se stabiliser. Le badin est à 160, quand je cabre l'avion à 30° environ. Nous partons de 2.500 m., au régime de croisière ; le badin tombe progressivement à 120. Je reprends le palier ; l'altimètre a gagné 900 pieds, soit un peu plus de 300 mètres.
De nouveau au régime de croisière et en ligne de vol, je joue du manche et des pieds pour balancer l'avion latéralement. Cet exercice n'a pas, sans doute, la nervosité qu'il peut avoir sur un avion de chasse. Cependant, la cadence me surprend et la conjugaison davantage encore, car il est très aisé de maintenir la bille au milieu en synchronisant pieds et manche. D'ailleurs, en continuant l'exercice les pieds sur le plancher, je constate que la bille ne s'écarte pas plus d'un centimètre de son logement central. C'est assez inattendu.
Essayons un peu le vol sur un moteur. Le droit est mis à 2.400 t./min avec 125 à l'admission, l'hélice gauche est immobile ; comme je l'ai déjà indiqué, l'avion tient très bien dans cette position, sans avoir à régler les flettners, en agissant d'une façon très modeste sur le palonnier et sur le manche. Si, par contre, on règle bien les flettners, l'appareil vole parfaitement et la vitesse se stabilise au badin vers 140 kts. J'exécute dans ces conditions une série de virages, oubliant presque que le Noratlas est privé de la moitié de sa puissance tractive.
Mais, voilà trois quarts d'heure que je bois du petit lait aux commandes du Nord 2501 ; il est temps de venir se poser. La tour m'accorde l'autorisation d'entrer dans le circuit de piste, je réduis un peu les gaz et arrive à 180 kts. à l'altitude de 1200 pieds (400 m.) que je me suis fixée pour faire mon tour de piste. Réduisant encore un peu, je laisse le badin tomber à 140 kts. Dans la branche vent arrière, je règle mon flettner de profondeur, je fais sortir le train, la vitesse tombe encore. A 120 kts., je demande 20° de volets, je règle à nouveau le flettner, je prends mon dernier virage, après quoi, tous les volets ( soit 55°) sont baissés et je fais mon approche à 100 kts. (180 km/h.).
Je joue un peu des manettes pour aborder la piste correctement... Ça y est ; il est temps d'arrondir progressivement, je mets le flettner de profondeur à fond en arrière, l'avion est à peu près correctement cabré, il s'enfonce docilement, les roues principales touchent aux environs de 80, la roulette tombe à son tour. Cette fois, le vol est terminé, je suis tout fier de ne m'en être pas trop mal tiré. Je freine progressivement et j'attrape la première bretelle après cet atterrissage face à l'ouest.
J'ai l'impression d'avoir déjà, grâce à tous ceux qui m'ont facilité le travail, une bonne petite expérience du Noratlas, mais ce n'est pas tout. Perrin m'invite à changer de place avec lui, il reprend le siège gauche et m'annonce un décollage O.A.C.I. Il reprend la piste, fait son point fixe, s'élance pour le décollage. Boutes est sur les manettes. A peine décollé et à 110 au badin, il met l'hélice du moteur gauche en drapeau, alors même que le train n'est pas complètement verrouillé et que l'appareil est à peine à 10 mètres du sol. Perrin tient l'appareil en montée à 100 m/min. A 400 pieds, il effectue son premier virage à gauche en montant toujours et, seulement alors, s'occupe de régler ses flettners, laissant ensuite monter le Nord 2501 à 50 m/min. et à 120 kts. au badin jusqu'à l'altitude de mille pieds. Alors, l'appareil, de nouveau réglé aux flettners, vole en palier pendant un instant, avant que Boutes remette en route le moteur gauche. L'expérience est concluante. Perrin, au terme de cette longue journée de travail, fait un magnifique rase-mottes au-dessus du terrain de Villaroche, au point qu'un instant je me demande s'il ne va pas lui prendre la fantaisie de rentrer directement à plus de 300 km/h dans le grand hangar ouvert devant nous... Non, il l'évite par une puissante chandelle, qui lui permet, en même temps, de réduire sa vitesse, de sortir son train, une partie de ses volets et de se présenter en virage pour un atterrissage dans le style des chasseurs.
Nous sommes, cette fois au sol pour de bon et je songe à l'équipe des mécaniciens qui nous attend au hangar et qui, tout à l'heure, nous faisait des signes désespérés pour nous inviter à nous poser, de façon à pouvoir rentrer chez eux. Pauvres amis, je vous ai pris un peu de votre repos mérité et je m'en excuse, mai si, grâce à votre patience, grâce à la compréhension de l'équipage du F. BFRG, grâce à la sympathique et amicale initiative de Perrin, j'ai fait une passionnante expérience qui me permet, ici, de dire tout le bien que je pense du Noratlas. Si j'avais une critique à émettre (il en faut toujours, sans quoi cela manquerait d'originalité), je dirais que le cloisonnement des vitres avant du poste de pilotage me semble un peu gênant pour la visibilité des pilotes et spécialement en place gauche. Si les panneaux étaient moins nombreux et les séparations moins épaisses, le balcon que constitue cette cabine d'équipage donnerait une visibilité parfaite.
Ceci n'est, du reste, qu'un détail car ce oui compte, pour un avion, c'est de voler et de bien voler dans toutes les conditions, tout en répondant à sa mission civile ou militaire. Le Noratlas, sans conteste, ne mérite pas le moindre reproche dans ces domaines et c'est, sans doute, ce qui explique-le succès qu'ont suscité ses présentations en Amérique latine, succès qui ouvre la voie à des marchés importants, sur le point d'être signés, et qui consacrent mieux que tout la valeur de cette remarquable réalisation de la SNCAN.
Jacques NOETINGER : ancien pilote militaire, il devient journaliste et se spécialise dans l'information aéronautique. C'est à lui que nous devons le nom de "La Patrouille de France". Il est décédé le 21 avril 2012.
Marcel PERRIN : ancien pilote de chasse du "Normandie-Niemen", il entre à la SNCAN en 1952 et se consacre à la présentation du Noratlas. Il meurt le 27 avril 1957 sur le terrain de Melun-Villaroche.
Flettners : ce sont des compensateurs (trim en anglais) qui permettent de maintenir une gouverne dans une position permettant l'équilibre de l'avion.
(Pour illustrer cet article nous avons glané quelques photos sur internet et dans les archives de notre association)