Introduction : Entré en service opérationnel le 18 juin 1956, à l’ET 1/61 TOURAINE sur la BA 123 d'Orléans-Bricy, le Noratlas n°105, "Notre" Grise, eut l'honneur de participer à l’Opération 700, c'est-à-dire à la campagne anglo-française de Suez avec 40 autres Noratlas à partir de l’Ile de Chypre (aérodrome de Larnaca). Le récit ci-après met en exergue l'aspect logistique de cette opération aéroportée, une grande première pour la France d'après-guerre. La qualité de la logistique mise au point par la France - en des délais très serrés - fit l'admiration des forces britanniques associées à cette opération. Cette opération jeta les bases des nombreuses opérations aéroportées que la France mettra sur pied jusqu'à nos jours.
LA COMPAGNIE DE LIVRAISON PAR AIR N°1 DANS L'OPERATION MOUSQUETAIRE :
Une vidéo d'époque sur les préparatifs de l'opération
Le 1er Régiment du Train Parachutiste, basé à Toulouse-Francazal, est aujourd’hui le seul héritier de toutes les formations spécialisées dans la livraison par voie aérienne.
En 1956, nos anciens de la Compagnie de Livraison par Air N°1 (CLA 1°) ont été engagés dans l’opération Mousquetaire en Egypte. En 2016, nous avons tenu à commémorer cet évènement exceptionnel qui a vu une force franco-britannique se projeter à 3000 km de ses bases arrière avant de lancer une offensive par la voie des airs et par mer. Ce n’est qu’en 2013 avec l’opération Serval au Mali que pareille prouesse a de nouveau été réalisée.
C’était au temps de la guerre froide, des deux blocs et de leur lutte par états interposés. L’URSS réarmant l’Egypte, les USA décident de ne pas financer le barrage d’Assouan.
Le Président égyptien Nasser nationalise le Canal de Suez. Les Israéliens craignent pour la survie de leur état. La France et la Grande Bretagne craignent pour leur approvisionnement en pétrole et la perte financière colossale que cela représenterait pour elles.
Au début, l’idée était de renverser le Président Nasser. Cependant, après de nombreuses hésitations diplomatiques, un plan a été conçu pour essayer de satisfaire les trois principaux pays intéressés, Israël, la France et le Royaume-Uni : Israël attaqueraient en direction du Canal de Suez, les Français et les Anglais enverraient un ultimatum à l’Egypte et à Israël leur demandant de se retirer à 15 km du Canal, faute de quoi ils interviendraient militairement. Ce qui fut dit fut fait après la signature le 24 octobre des accords (secrets) de Sèvres qui « officialisaient » le plan. Le jour J pour les israéliens était fixé au 29 octobre.
Mais intervenir militairement si loin de nos bases nécessitait une énorme préparation qui, pour rester discrète à défaut d’être secrète, devait se faire dans des délais très courts.
Quel que soit le plan, il était envisagé un assaut vertical et un débarquement naval. Donc, dès le début, la CLA 1 a été choisie pour assurer la mise à terre des parachutistes et de leurs matériels. La CLA 2 était engagée en Algérie à Blida au profit des 25e et 10e Division parachutistes.
Avec tout son matériel spécifique, la CLA 1 a donc fait mouvement de Kehl (Allemagne) à proximité de Strasbourg où elle était stationnée vers Pau pour rejoindre la Base Ecole des Troupes Aéroportées (BETAP).
Renforcée par des personnels de la BETAP (et en particulier des moniteurs largueurs) elle s’est ensuite embarquée à Marseille sur des cargos affrétés.
Le 1er septembre, elle quittait Marseille pour arriver à Chypre et plus exactement à Limassol le 7.
Dans ce port les bateaux de fort tirant d’eau ne pouvaient pas venir à quai. Il a donc fallu transborder tout le matériel sur des chaloupes pour l’amener à terre.
Il faudra ensuite trois semaines pour acheminer tout ce matériel jusqu’à l’aérodrome de Tymbou que les Anglais avaient mis à disposition des Français. Ce dernier était nu comme la main. Il a donc fallu monter toute l’infrastructure.
Ce n’est que le 26 octobre qu’une flotte d’avions gros porteurs français est réquisitionnée pour amener les personnels des régiments parachutistes désignés pour l’opération d’Alger à Chypre.
l y a des Constellations, des Breguet deux ponts, des Armagnac et des DC 4 de différentes compagnies aériennes française.
Partis d’Alger ou de Malte, le reste des moyens destinés au débarquement arrivera en rade de Limassol le 4 septembre.
Comme on ne savait pas combien de temps aller durer le conflit, la CLA avait mis à profit ces délais pour pré-conditionner des ravitaillements (eau, carburant et munitions). Les moyens plus lourds des régiments (véhicules, canons, mortiers) ont été conditionnés quand les régiments sont arrivés à Chypre.
Cela représentait un volume assez important puisque, au départ, trois régiments devaient être largués.
Comme prévu, le 29 octobre à 17 heures, l’offensive israélienne commence. Temporairement mis en difficulté les paras israéliens largués à proximité du col de Mitla seront ravitaillés par des Nord 2501 français équipés par la CLA. Dès lors, l’avance (toujours soutenue par des largages effectués par la CLA) est rapide et irrésistible. A la date du 5 novembre, les israéliens tiennent l’ensemble de la péninsule du Sinaï.
Le 31 octobre au soir, l’Air Force britannique et la chasse française commencent les bombardements destinés à détruire un maximum des capacités aériennes des égyptiens.
Le 1er novembre, Nasser fait obstruer le Canal en y coulant 47 bateaux et fait disperser tous les chasseurs et bombardiers égyptiens y compris dans des pays voisins et amis.
Finalement, une opération aéroportée aura lieu le 5 novembre. Des bataillons paras anglais sauteront sur Gamil suivis 15 minutes plus tard par la moitié du 2e Régiment de Parachutistes Coloniaux qui est larguée sur Port Saïd.
Ce sont environ 500 paras, des jeeps, des mortiers, des canons de 106 que la CLA va larguer à partir de 17 Nord 2501 pour les personnels et 4 pour les matériels.
Quelques heures plus tard, le reste du régiment saute sur Port Fouad.
Cette seconde rotation comporte 15 Nord personnels et 4 matériels. Enfin, en fin d’après-midi la CLA largue l’Antenne Chirurgicale Parachutistes et des approvisionnements en munitions, eau et carburants.
Au soir du 5, tous les objectifs assignés aux paras sont atteints. Ils sont maîtres de Port Saïd et Port Fouad, en mesure de poursuivre vers l’autre extrémité du Canal.
Mais la diplomatie a fait son œuvre et un cessez-le-feu est imposé par l’ONU le 5 à 24H00. Néanmoins, le département du 1er Régiment Etranger Parachutiste aura lieu le 6 novembre pour consolider la tête de pont.
Dès lors les positions sont figées. Sur l’île de Chypre, les paras du 3e Régiment de Parachutistes coloniaux restent prêts (au cas où le conflit reprendrait).
Ils continuent leur entraînement en particulier au saut et au déconditionnement des matériels ce qui donne beaucoup de travail à la CLA.
Le 22 décembre, la force d’urgence de l’ONU relève les régiments français. Le 2e RPC et le 1er REP seront de retour à Alger le 29 décembre. Les derniers personnels de la CLA quant à eux ne seront de retour à Kehl que début avril 1957.
Cette opération qui voyait pour la première fois une base aéroportée a permis de tirer de nombreux enseignements.
Comme l’a démontré l’opération Serval, malgré l’évolution des moyens aériens, le rôle et l’importance de la livraison par air dans les opérations lointaines et urgentes sont toujours les mêmes.
Colonel (H) Robert TRAVAILLOT
Ancien chef de corps de la BOMAP
A lire également le très intéressant article du Commissaire général François Aubry paru en 2016 dans la revue de l'Amicale des commissaires de l'air et commissaires des armées/air (AMICAA) :
http://www.amicaa.fr/2016/11/suez-1956-premiere-opex-du-commissariat.html