LARGAGE A 8.700 METRES DEPUIS « LA GRISE »
Le Commandant de bord du Noratlas n° 145 nous relate ici un largage de parachutistes effectué à une altitude peu habituelle pour le N.2501.
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C’est pour moi la fin d’une année comme commandant de l’escadron avions du GMT 59. Je vais pouvoir rentrer en France et retrouver ma famille qui, opérations obligent, ne m’a pas suivi. Il y a quelques temps, le lieutenant Monchanin, chef de section à la CPIMa, avec qui nous travaillons beaucoup, m’a proposé un « bon coup » difficile à réaliser en France compte tenu du trafic et du découpage de l’espace aérien : un largage à l’altitude maximale que le Noratlas pourra atteindre. Il est vrai que, ici, on ne se bouscule pas dans les airs et que les conditions météo sont souvent favorables.
Le commandant du GMT, à qui je demande l’autorisation de tenter l’opération, me donne son accord. Nous commençons à enlever de l’avion n°145, retenu pour le vol, tout ce qui n’est pas vraiment nécessaire à ce vol local, afin d’alléger le plus possible : poste radio HF (l’approche de Fort Lamy assurera le relais avec le contrôle régional), chaines, portes de parachutage etc. … et à l’équiper en oxygène ; les pleins sont faits au minimum, la zone de saut de Farcha se trouvant à proximité immédiate du terrain. L’équipage sera limité à deux pilotes et un mécanicien navigant. Il n’y a plus qu’à attendre les conditions favorables.
Le lundi 5 juillet après-midi, nous décollons avec une quinzaine de paras dont 3 ou 4 seulement (je ne me souviens plus des chiffres exacts) sont prévus pour la haute altitude, les autres étant largués à une hauteur classique. Pas un nuage, excepté un voile de cirrus, mais nous ne pensons pas les atteindre. Vers 3 000 mètres, largage d’une grande partie de l’équipe, puis reprise de la montée. Tout le monde se met sous oxygène, dans le poste d’équipage comme dans la soute, l’avion grimpe bien mais pour maintenir un vario positif nous devons diminuer progressivement la vitesse. Avec les portes arrières grandes ouvertes, il commence à faire frisquet, le « poêle » (bruleur Avialex bien connu pour son efficacité limitée) ayant du mal à rétablir une température suffisante.
Nous arrivons au ras des cirrus qui nous empêchent d’aller plus haut. 7.500 mètres, ce n’est pas mal. Je donne le « vert » et les derniers paras sautent, non sans avoir, comme le veut l’habitude, demandé quelques changements de cap pour être mieux placés par rapport à la zone de saut (on se demande bien comment ils peuvent apprécier la verticale à cette altitude…) Le radio au sol nous donne le nombre de coupoles… le compte y est, tout va bien.
De retour au parking, les paras, qui ont mis moins de temps que nous pour descendre, ne cachent pas leur enthousiasme et demandent, bien sûr, à tenter à nouveau l’altitude maximale. Que ne feraient-ils pas pour quelques secondes de plus en chute libre ?!! Après tout pourquoi pas ?
Et onze jours plus tard, nous voilà repartis. Vendredi 16 juillet, en fin d’après-midi, décollage dans des conditions identiques, avec le même équipage à laquelle s’est jointe Rosemay de la Besse, convoyeuse de l’air en détachement, ayant à son actif un nombre de sauts impressionnant, et tout aussi passionnée qu’eux par la chute libre.
Pas de voile de cirrus cette fois. Le scénario est le même : largage vers 3.000 mètres pour la plupart, puis montée à nouveau en circuit avec 4 paras. Nous dépassons l’altitude précédemment atteinte. Depuis plusieurs minutes, le pilotage se fait « à deux doigts », et les virages ne dépassent pas 10° d’inclinaison… L’avion en veut encore. Vers 8.000 mètres, une moitié du stick saute, la seconde sautera au passage suivant. Tant que nous y sommes, pour gratter encore quelques dizaines de mètres, nous affichons la puissance au décollage durant une minute. MONCHANIN, qui saute en dernier, me dira plus tard, au sol, qu’il s’est demandé ce qui se passait… Et nous arrivons, à l’issue de notre dernier circuit, à 8.150 mètres QNH. Largage. Le nombre de coupole et notre contact au sol nous permettent de contrôler que tout le monde a bien ouvert. Lecture de la température extérieure : moins 22° (en atmosphère standard, il devrait faire moins de 39°).
Comme la dernière fois, la descente prend « un certain temps », mais la vitesse est plus confortable qu’en montée ! Nous avons donc tout loisir de convertir l’altitude lue en altitude vraie, pour appliquer l’adage bien connu « air plus froid : avion plus bas ; air plus chaud : avion plus haut ». Et nous lisons sur nos computeurs en nous reprenant plusieurs fois, l’altitude vraie : 8.700 mètres !
Au parking, où la température est meilleure (+32°), nous retrouvons nos paras enthousiasmés par cette expérience qu’ils renouvelleront, hélas, pas de sitôt. Nous non plus d’ailleurs.
Je ne sais pas si c’était un record, mais c’était un bon coup quand même !
JP DUVIVIER - Fort-Lamy, juillet 1971