Ci-dessous la transcription d'un article du quotidien "Echo-soir" paru le mercredi 30 septembre 1959 à Oran.
Où l'on voit ce qu'un Noratlas pouvait "encaisser"
La "Une" du journal.
Prix du numéro : 25 "Anciens Francs"
J’ai percuté un mur de grêle avec un « NORD 2501 » en détresse…
Par Léo PALACIO
Lundi après-midi, je me trouvais dans l’un des deux bimoteurs « Nord 2501 » du groupe de transports militaires d’Alger qui ramenait à Oran un groupe d’officiers de réserve d’Oranie, retour du Carrefour national 1959 tenue à Paris au Palais de l’O.T.A.N.
Nos deux avions avaient décollé du Bourget à une heure trente. Au départ, l’aérodrome était décoré de drapeaux espagnols en l’honneur de M. Arrese, ministre espagnol de la reconstruction, venu rendre visite à son collègue français M. Sudreau. Personne ne se doutait alors que, quatre heures plus tard, nous allions revoir les mêmes drapeaux « sangre y oro », mais en territoire espagnol.
Voyage sans histoires au début. Malgré l’inconfort des banquettes et des dossiers en sangles des transports de troupe, la plupart des trente-deux passagers sommeillent. Les plus résistants jouent au bridge sur des valises transposées en tables de jeu. Sous nos ailes, à 2400 mètres, défilent les paysages de France.
Sitôt passé le Cap Cerbère, à la frontière franco-espagnole, nous trouvons la « crasse ». Depuis plus de 48 heures le mauvais temps sévit sur le Roussillon et la Catalogne. Premiers trous d’air, nul ne s’en trouve incommodé. Les parties de cartes continuent de plus belle.
L’avion vole en P.S.V. (Pilotage Sans Visibilité). L’heure d’arrivée à la Sénia est prévu pour 18 heures 30.
Vers 17 heures, nous sommes à hauteur de l’archipel des Baléares que nous laissons à notre gauche, Valence se trouvant à notre droite. Mais la visibilité étant nulle à plus de dix mètres devant le nez de l’avion, il nous est impossible d’apercevoir les côtes.
Soudain – il est 17 heures 20 – une brusque secousse ébranle l’appareil. L’avion, aspiré par un trou d’air, est aussitôt renvoyé vers le haut comme par un violent coup de poing. Puis l’avion essuie de véritables rafales de mitrailleuse lourdes accompagnées d’un bruit de bombardement. Aussitôt, le hurlement des moteurs se fait dix fois plus fort et envahit toute la carlingue.
Devant moi, le docteur Deloupy me fait face prend sa tête dans les deux mains. Et je vois le sang gicler de son front et de son nez avec violence.
Un autre passager, le lieutenant Cambonie, de Sidi-bel-Abbes, se sent violemment frappé dans le dos et dans le cou. Il tombe sur moi. Je vois encore des projectiles blancs et gros comme le poing traverser la cabine de pilotage et tomber dans la carlingue.
Le « mitraillage » se poursuit. Que vient-il de se passer ? ce n’est pas de suite que nous le saurons, car l’équipage a fort à faire ; et par ailleurs nous sommes occupés, avec le lieutenant pharmacien Philippon, à donner les premiers soins au docteur Deloupy.
Pendant un bref instant, j’ai entendu le moteur droit ralentir puis reprendre sa cadence. Puis l’avion a amorcé un virage sur la gauche. Le radio du bord vient s’inquiéter du sort des passagers. Il nous rassure brièvement sur celui de l’équipage et nous apprend seulement que nous sommes entrés dans un nimbo-cumulus chargé de grêle. L’appareil a subi des dégâts qui nous interdisent de poursuivre notre route sur Oran. Nous allons tenter de nous poser à Palma de Majorque. Le pilote vient justement d’annoncer la manœuvre pour rebrousser chemin.
A la sortie d’un tunnel calme dans une masse orageuse, l’avion avait heurté un véritable « mur de glace »
C’est après un magnifique atterrissage sur la piste du terrain militaire de Palma de Mallorca que je vais apprendre – en faisant office d’interprète entre le commandant de bord et l’officier espagnol de service à la base – la gravité du danger auquel nous avons miraculeusement échappé.
L’avion, dans la crasse épouvantable que l’entourait, avait trouvé un « tunnel » apparemment calme. Sa vitesse était de 350 kilomètres-heure. Brusquement, il entra dans un nimbo-cumulus (rappelons que le pilote dirigeait son avion en P.S.V. , sans aucune visibilité) et une dégelée de grêle s’abattit avec une violence inouïe sur l’appareil.
Le docteur Deloupy, mèdecin commandant de réserve, pilote de tourisme expérimenté et président du Club de vol à voile, intéressé par la manœuvre du pilote, avait avancé la tête pour voir ce qui se passait. Voici ce qu’il devait me dire le lendemain, à sa sortie de l’hôpital de Palma où il avait été soigné :
« J’ai vu les « plexiglass » voler en éclat sous un bombardement de grêlons dont certains atteignaient les dimensions d’une brique. Le sergent-pilote baissa la tête pour laisser passer cette avalanche de projectiles, et se cramponna aux commandes. Le radio qui lui tournait le dos s’effaça aussi au maximum pour ne pas être assommé. L’air entrait avec une violence inouïe dans l’habitacle de pilotage. »
« Un gros grêlon défonça le badin de gauche et un autre un cadran du poste radio. C’est alors qu’un gros morceau de plexiglass vint me labourer le visage ».
C’est le capitaine Valentin qui devait poser l’appareil au sol. Il effectua cette manœuvre du siège du copilote, à droite, puisque certains des instruments de bord de gauche avaient été abimés. A l’atterrissage, qui fut impeccable, les passagers du Nord 2501 poussèrent un long « hourrah » pour remercier l’équipage dont le sang-froid nous avait certainement sauvé la vie.
Escale de 24 heures aux Baléares
L’accueil des officiers aviateurs de la base de Palma fut particulièrement émouvant. D’emblée, l’officier de jour se mit à la disposition du commandant de bord pour l’envoi de message officiels aux autorités militaires de Paris, Alger et Oran. Le consulat de France s’occupa de nous loger dans un confortable hôtel de Palma. Nous étions des touristes sans passeport ni devises, mais aucun problème ne se posa.
Le lendemain, alors que nous attendions l’appareil de dépannage amenant le matériel de réparation pour remettre le Nord 2501 en état (plus d’une semaine de travail), nous avons été les hôtes de la base.
C’est un succulent repas qui nous fut servi au mess, sur des tables garnies de drapeaux espagnols et français.
Au cognac, un pilote espagnol de « Sabre » à réaction me dit :
« Vous vivez une seconde vie. Dans des circonstances comme celles que vous avez vécues hier, il n’y a a plus qu’à se confier à son pilote et à prier ».
Le nimbo-cumulus montait à 24.000 pieds
« j’ai rencontré la même perturbation a-t-il poursuivi. Je venais de faire le triangle Valence – Saragosse – l’embouchure de l’Ebre et je rentrais à Palma pour me poser sur le terrain de Son San Juan. J’ai eu la chance d’apercevoir dans une trouée l’énorme masse noire du nimbo-cumulus. Il était 17 heures. Je suis monté très haut, jusqu’à 24.000 pieds (8.000 mètres) pour m’en sortir. J’ai été, pendant la manœuvre, très secoué ».
A la fin du repas, le Dr Deloupy devait remettre au représentant du colonel commandant la base, l’insigne des officiers de réserve français des trois armes et celui des Unités Territoriales d’Oran. Au docteur qui le remerciait encore de son accueil si cordial, le commandant espagnol devait répondre :
« Pour nous, c’est un geste absolument normal. Les officiers, quelle que soit la Nation qu’ils servent, appartiennent tous à la même famille. Alors dites vous bien qu’ici vous, Français, devez vous sentir chez vous ».
Deux heures plus tard, nous reprenions la route d’Oran à bord du deuxième Nord 2501 qui avait amené le matériel de réparation.
LEO PALACIO